Le Droit à l’Histoire au-delà du périph’

Le Droit à l’Histoire au-delà du périph’

Peut-on exister collectivement sans une Histoire à présenter et à transmettre ?

Chaque commune française n’a-t-elle pas des édifices, des objets, des vestiges à exposer, des personnalités locales à célébrer par le nom d’une rue, et, au moins, un passé à raconter ?
Comment sortir de toutes ces représentations subies de la banlieue, cité dortoir ou no-man’s land, des champignons sans âme, sans grande Histoire, seulement des histoires, des embrouilles, et des petites gens qui ont le malheur d’y vivre, dans leur petit pavillon ou leur longue barre de HLM. 
C’est vrai que maintenant il y a les talents des cités – ouf, on positive – les cultures émergentes des minorités visibles, en perpétuel advenir d’un futur incertain.
A peine franchi le périphérique, et déjà à des années-lumière de la Ville-Phare, comment ça se crée, l’identité ? De quoi ça se nourrit, le terroir, dans nos territoires ? 
Empruntant à Aimé Césaire sa réflexion sur le droit à l’Histoire des peuples colonisés, nous posons la question du rapport à l’Histoire de nos villes de banlieue.

 

Patrimoine, Histoire, Identité, Banlieue : le patrimoine de banlieue existe-t-il ?
Voici quelques notes prises mardi 2 février 2010 lors d’une journée d’études proposée par Alexandre Delarge, directeur de l’écomusée du Val de Bièvre à Fresnes, d’après les interventions
•    d’André Miccoud, sociologue, directeur de recherche honoraire au CNRS,
•    de Julie Guyoit Corteville, conservatrice en chef du musée de la Ville, Saint Quentin-en-Yvelines
•    d’Annie Fourcault, professeur d’Histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
•    et de David Douyère, sociologue à Paris 13 Villetaneuse, invité comme observateur candide de cette journée.
Initialement le patrimoine est directement relié à l’origine, à la transmission dans la famille. C’est devenu ensuite un droit collectif : un territoire est titulaire d’un patrimoine. 
Aujourd’hui, c’est un ensemble de biens et de valeurs du passé, d’un groupe humain donné à un moment particulier de son histoire. Ce collectif choisit et extrait du commerce ordinaire ce qu’il estime gage de l’identité dans le temps :
•    par un processus de symbolisation qui va donner du sens,
•    par le moyen de figures-objets esthétiques,
•    par l’apport de réflexions des disciplines scientifiques, par une institutionnalisation des choix,
•    pour la construction d’une représentation du monde et de soi.
On situe 3 périodes, qui se chevauchent, dans la vision que l’on a du patrimoine :
•    la 1ère période est basée sur la conservation de vestiges historiques, de sites géographiques
•    la 2ème période qui naît après guerre s’intéresse à la sauvegarde de ce qui va disparaître, les arts et traditions populaires et les milieux naturels
•    La période actuelle considère le patrimoine comme la richesse de la diversité à gérer comme ressource. 
On est passé du lieu d’origine à celui de naissance, puis de résidence, et enfin de passage, espace temps des hommes qui ont fait vivre la ville et qui ont vécu d’elle.
André Miccoud confronte
•    la ville centrale qui a la maîtrise de l’espace et du temps, qui dit l’Histoire (celle du vainqueur) et organise les lieux, dans un espace-temps cosmique basé sur l’Histoire, la hiérarchie, l’éternité, la fixité,
•    avec la banlieue-périphérie, espace-temps organique, aux mémoires diverses, soumis ou sujet à prolifération, bourgeonnement, éphémère changement, mouvance.
Julie Guyot-Coterville nous parle des stigmatisations associées à la banlieue : 
Grands ensembles inhumains, cités dégradées, des lieux montrés, parfois vécus, comme erreurs de l’Histoire de l’architecture, à détruire donc. Et donc on montre en boucle la barre qui s’effondre, sans regard pour l’Histoire dont elle est porteuse. 
Elle nous parle de la violence sociale que d’ôter à la banlieue sa place dans l’Histoire, au passé souvent occulté puisque exclu de l’Histoire, de la nécessité de sortir de la désignation pour rentrer dans la compréhension, sortir de ces jugements de valeur, par un passage par la connaissance, une mobilisation collective, pour avoir une conscience fière de l’endroit où l’on vit.
Alexande Delarge, fondateur d’un musée participatif où les habitants sont inventeurs du patrimoine, souligne le fait que la mondialisation s’oppose à l’identité en même temps qu’elle en fait resurgir le besoin.
Annie Fourcault note qu’on a souvent traité de la banlieue uniquement en termes de problèmes sociaux-dominations : la banlieue paillasse de Le Corbusier, le Voyage au bout de la nuit de L.F. Céline, et les classes laborieuses – classes dangereuses, puis aujourd’hui les émeutes urbaines, la crise des banlieues… et associé la banlieue à l’immigration de l’intérieur, puis de l’extérieur, après la résorption des bidonvilles. 
Elle pose enfin la question de l’Histoire locale d’une ville de banlieue, comment l’aborder aujourd’hui ? 
Cela ne peut se faire uniquement sur la vision du local, sans prendre en compte des dimensions plus globales, mais dans une réflexion plus thématique, qui permet de croiser des regards, de la cité, du quartier aux banlieues du monde.
En guise de conclusion David Douyère, soulève quelques questions iconoclastes : 
La mémoire de la banlieue est-elle le patrimoine du pauvre ? 
La banlieue est-elle l’endroit où se prépare ce qui se fait en ville ? 
Les gens sont-ils un patrimoine ? 
Le patrimoine est constitutif de l’identité, pour qui ? 
Faut-il garder des traces de ce qui est par vocation de passage , éphémère ? 
Qu’est-ce que les gens ne connaissent pas ? et devraient connaître ?
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